UNE HISTOIRE COURTE ET EFFICACE !
« LE PERMIS » Une histoire à chute
Par Jocelyne Duparc, illustrations Marc Salhi
Le papier rose en main, Pierrot fit une entrée triomphale au « Bar à thym ». Les « hip hip hip hourra ! » de ses amis réunis le transportèrent daise. Enfin il se sentait heureux et en confiance, bien entouré de ses vrais potes.
Chez lui, laccueil avait été si décevant. Sa mère lui avait semblée bizarrement inquiète, comme tracassée par sa réussite. Cest vrai quelle ne lui faisait jamais confiance.
Sa petite sur navait fait aucun cas de son succès, elle avait le permis depuis plus dun an déjà.
Frustré de cette heure de gloire quil attendait depuis si longtemps, il avait senti une bouffée de rage monter en lui. Rage contre ses parents qui létouffaient lun de conseils, lautre de reproches. Haine aussi contre cette petite sur, si parfaite aux yeux des parents, alors quelle nétait quune snobinarde, toujours à finauder et à se moquer de lui.
Dans ces circonstances si particulières, Pierre éprouvait lourdement linjustice de sa situation. Ses parents applaudissaient volontiers aux succès de cette sale teigne quils traitaient toujours avec indulgence. Lui, à leurs yeux, nétait quun balourd... Un brave garçon un peu lent...
Mais les choses allaient enfin changer. Pierre sentait toute cette énergie en lui, cette force, ce goût pour la vitesse qui le submergeaient. Il se savait téméraire et viril.
Il aimait parler de voitures avec ses copains, il aimait assister aux courses automobiles. Quand le bruit des moteurs et lodeur forte de lhuile chaude lenveloppaient, son âme devenait celle dun grand pilote.
Et, ce jour-là, il venait dobtenir le document officiel qui ferait prendre un tournant décisif à sa vie : le permis de conduire... SON permis !
Dhabitude, à la maison, quand il disait :
- Malheureusement, jai pas encore mon permis...
Ou bien :
- Dès que jai mon permis...
Sa sur, la salope, le reprenait :
- Ton permis ?! Tant que tu ne las pas, cest pas le tien ! Dis LE permis de conduire mais ne te lappropries pas encore, ça fait cinq fois que tu le rates !
Voilà, cétait bien là le drame de Pierre Martinot. Un passionné de voitures qui narrivait pas à décrocher le fameux papier rose ! Bien entendu, la conduite ne lui avait jamais posé le moindre problème. Chez lui, cétait là, inné, chevillé au corps. Mais toutes ces tracasseries pour le code... Alors que tout le monde sait bien que ça ne sert plus à rien dès quon a réussi lexamen !
Pierrot lavait raté plusieurs fois, ce code de merde ! Conséquence... Interdiction de passer la conduite pourtant si bien maîtrisée. Six fois il sétait présenté ! Ça lui avait pris neuf ans en tout... Neuf ans à ronger son frein, à sabîmer la vue sur des bouquins constellés dintersections, de véhicules prioritaires et de dos dânes !
Heureusement, aujourdhui, tout cela nétait plus quun mauvais souvenir. Bien au chaud, au comptoir de lamitié, on arrosait la victoire avec les copains.
- Et que le Champagne coule à flots, aubergiste !
Pour la première fois peut-être depuis quil était sorti de lenfance, Pierrot se sentait reconnu... Un vrai homme tel quil lentendait, bien en phase avec la vie moderne... Au diapason de lexistence... Il rayonnait !
A travers la vitre embuée du bar, son regard se posa sur le 4x4 rouge de Sébastien. Tout comme lui, son pote aimait les voitures massives et puissantes...
Mais Pierrot avait une autre idée. Et son idée à lui, cétait de se payer une Américaine, une grosse limousine. Il en aurait bientôt les moyens, depuis le temps quil économisait ! On exposait justement de très beaux modèles doccasion dans un garage tout proche et il se promettait dy faire un saut à la première heure du lendemain. Avec le permis en poche, le plus dur était fait !
Sébastien vit la lueur de convoitise dans les yeux de son copain. Sébastien Louette était son meilleur pote. Un authentique ami qui lavait toujours soutenu et encouragé en toutes circonstances. Il lavait même aidé à réviser son code, cest vous dire !
Dailleurs, cette amitié sans faille, Pierrot la lui rendait bien. Par exemple, quand Sébastien avait perdu son emploi, cétait Pierrot qui avait payé lassurance du 4x4. A présent, Sébastien avait retrouvé un petit job et ses finances avaient meilleure mine. Mais, malgré tout, Pierrot savait bien quil lui restait des traites en retard. Et, une fois de plus, il était décidé à laider, même si cela entamait quelque peu le budget destiné à la grosse américaine.
Rien quà penser à leur si belle entente, Pierrot sentit les larmes mouiller ses paupières.
- Trinquons à lamitié ! Sécria-t-il, histoire de chasser son trouble.
- A lamitié et aux belles voitures ! Reprit Sébastien en levant son verre.
Et tous deux, le sourire et le Champagne aux lèvres, sabîmèrent dans la contemplation du beau Cherokee chromes et feu.
- Trinquons aussi aux femmes !
Lança soudain Pierrot, en apercevant une jolie blonde qui passait en fredonnant devant le bar, un gros dossier cartonné calé sous son bras droit.
Et le reste arriva tout naturellement. Entre amis, cest bien connu, pas besoin de parler. On se comprend dun geste, dun regard. Mais là, ce que dit Sébastien en lui tendant ses clés, réchauffa le cur de Pierrot, effaçant dun seul coup toutes les frustrations passées.
- Tu sais quoi ? Je te prête mon Cherokee. Va tfaire une ptite virée mon Pierrot. Tas ton permis, moi jte fais confiance. Tu fais le tour du pâté de maisons, tout seul, comme un grand... Juste le temps pour nous douvrir une nouvelle bouteille de roteux !
Pierrot ne se le fit pas répéter deux fois !
Il y a des gens qui samusent, qui font la fête. Pendant ce temps-là, il y en a dautres qui travaillent. Mélanie Duplat était de cette dernière catégorie. Cétait une belle jeune femme blonde. Très belle et surtout très sérieuse... Dailleurs, elle était huissier de justice. Consciencieuse et aimant son métier elle parvenait, en maniant avec dextérité la carotte et le bâton à clôturer bien plus de dossiers que la plupart de ses collègues.
Ce jour-là, elle se sentait en grande forme. Elle portait sous le bras droit, un classeur cartonné où sétalait, en lettres capitales le titre « Dossier n° 413, Affaire Louette ». Cétait exactement le type daffaires quelle affectionnait. Elle en connaissait tous les détails par cur. Trois mois de traites en retard, une voiture de genre « tous terrains » à saisir. Pour linstant, la saisie nétait que conservatoire. Mais si, comme Mélanie lespérait, lhomme ne soldait pas sa dette sous huit jours, on passerait à la saisie pure et simple. Un vrai délice !
Encore un qui avait eu lauto plus grosse que le portefeuille et narrivait pas à payer son crédit. Dinstinct, Mélanie le haïssait, comme elle haïssait la plupart des gens et, plus particulièrement, tous les conducteurs de 4x4.
Chaussant ses lunettes, Mélanie consulta son plan de banlieue à la recherche du domicile de son « client ».
- Jy suis ! Cest de lautre côté de la nationale... Sécria-t-elle en repérant les lieux.
Elle rebroussa chemin, cherchant des yeux un passage protégé. Elle cheminait dun pas décidé, en fredonnant, pour se donner de lentrain :
- Cest bien fait pour lui ! Cest un gros macho...
En passant, elle jeta un regard méprisant aux poivrots qui, toujours accoudés au comptoir du « Bar à Thym », émirent à sa vue de nouveaux sifflements admiratifs.
Elle arriva au passage pour piétons, la route était très large et la circulation dense. Un panneau lumineux affichait : « Piétons, traversez en deux temps ». Mélanie Duplat était une fille disciplinée. Pas du tout le genre écervelée ! Elle sarrêta tranquillement au bord du trottoir, en attendant que le petit bonhomme du signal devienne vert. Elle chantonnait toujours, le nez plongé dans le plan du quartier. Elle ne vit pas le gros 4x4 Cherokee rouge lancé à toute allure qui arrivait en zigzaguant et coupait carrément la nationale en diagonale.
A peine amorça-t-elle un geste... un cri...
De toute façon, Pierre Martinot neut pas loccasion de connaître le son de sa voix. Il nentendit même pas craquer les os de la jolie huissière de justice parce quil venait lui-même dêtre éjecté et que sa boîte crânienne éclatait contre le mur du garage où lon vendait de si belles limousines américaines.
Fin