UNE HISTOIRE D'AMOUR SUR LE CONTINENT AFRICAIN
LA NUIT AFRICAINE
Une nouvelle sentimentale de Jocelyne duparc
Le soleil commençait à décliner et on pouvait espérer que dans une heure ou deux la chaleur deviendrait supportable. Assis sur les marches de bois, Louis rêvassait, une cigarette éteinte entre les doigts. La voix rieuse de Simao le surprit.
- Hé ! Louis ! Il est temps de se préparer. N’oublie pas qu’on va au Grand Hôtel ce soir. L’anniversaire de Doc Langlois en même temps que la paix retrouvée, ça s’arrose !
- Tu as raison, répondit Louis. D’autant plus que je dois aussi boucler mes bagages. Ça me fait tout drôle de quitter l’Afrique. Tu te rends compte, demain soir je serai à Paris !
- Ah ! Quelle veine tu as ! Mais, en attendant, moi je me contenterai de la fête de ce soir. Je te parie qu’il y aura des tas de belles femmes ! lança le jeune lieutenant en s’éloignant au petit trot.
Louis ne peut s’empêcher de rire, Simao était un dragueur impénitent. C’était aussi un ami sincère qui l’avait aidé à s’adapter à la vie africaine. Louis n’était pas soldat, il avait été engagé par l’Armée comme traducteur-interprète pour décrypter les notices techniques des matériels de plus en plus sophistiqués. On l’avait choisi parce qu’en plus de connaissances linguistiques classiques, il parlait plusieurs dialectes africains et connaissait bien les armes, pour avoir passé sa jeunesse à suivre un père militaire dans tous les coins de ce vaste continent. Lui, n’aimait pas la guerre et chaque jour lui confirmait cette aversion.
A Paris, il était traducteur littéraire : Anglais, Espagnol, Allemand... Et, dans quelques jours, il allait retrouver tout ça. Ses clients, son bureau... Et Maryse... Maryse qui l’avait harcelé jusqu’à ce qu’il accepte cette mission aux frontières d’un pays en guerre, parce que la rémunération offerte était très élevée. Maryse qui n’avait pas écrit depuis plus de trois semaines.
Six mois plus tôt, en quittant Paris, il s’imaginait que cette séparation, tout en apportant à sa compagne le luxe dont elle rêvait, les aiderait peut-être à sauver ce qui restait de leur couple. Croyant qu’un échange de correspondance leur permettrait de mieux s’ouvrir l’un à l’autre, il avait essayé de transcrire l’étrange expérience qu’il vivait. Il lui parlait de cette Afrique qui avait enchanté sa jeunesse et qu’il se désolait de retrouver déchirée et pantelante. La guerre, la sécheresse, la famine... Vu du camp militaire où il vivait, tout cela dépassait, et de loin, les gros titres des journaux. C’était une réalité quotidienne qu’il devait affronter, un peu honteux de n’être qu’un spectateur inutile, face à tant de souffrance.
Contrairement à ses espérances, au fil des jours, le fossé qui le séparait de Maryse n’avait fait que se creuser. Les rares lettres qu’elle lui adressait étaient si futiles qu’il ne prenait plus aucun plaisir à les lire. Il l’avait avertie de son retour, mais il devait bien s’avouer qu’il n’éprouvait aucune hâte à la retrouver. L’éloignement avait fait son œuvre. Mais était-ce simplement l’éloignement ou plutôt la silhouette longue et fine d’une certaine femme en blouse blanche ? Une femme qui semblait l’ignorait superbement, mais dont la grâce fragile, contrastant avec l’énergie qu’elle déployait quotidiennement, l’avait si fortement ému. " Assistera-t-elle à la fête de ce soir ? " se demandait-il.
Hélène n’osait même plus scruter l’horizon. A quoi bon ? On disait la guerre terminée pourtant rien n’avait changé. A tout moment du jour ou de la nuit, c’était pareil. A travers la poussière du chemin, on les voyait arriver, par petits groupes exténués. Des hommes, des femmes, des enfants, à bout de force.
Comme les autres membres de l’équipe, elle avait beau se dépenser sans compter, les résultats étaient si minces. Devant tant de détresse humaine, leurs efforts semblaient dérisoires.
Ce n’était pas ainsi qu’elle voyait les choses quand elle avait démissionné de son poste d’infirmière à la clinique d’esthétique des Chênes. Elle venait de vivre une expérience amoureuse désastreuse et s’était mise à développer une répulsion caractérisée envers le monde de l’esthétique en général et un trop volage chirurgien en particulier. Sans regret, elle avait tourné le dos aux liftings et aux liposuccions, pour rejoindre l’association caritative du Docteur Langlois.À ce moment-là, elle s’était sentie portée par un sentiment d’altruisme enivrant. Pourtant, en y réfléchissant honnêtement, elle se rendait compte qu’elle avait surtout voulu fuir Christophe et la façon dont il s’était joué de son amour. Pour l’oublier, elle s’était plongée comme une forcenée dans le travail et le résultat était là : elle pouvait évoquer son souvenir sans ressentir la moindre émotion. Elle se demandait même comment elle avait pu éprouver une passion si vive pour cet homme qui lui semblait veule et sans intérêt comparé aux médecins de l’association. Elle l’avait si vite oublié. Valait-il vraiment la peine qu’elle changeât de continent pour échapper à son emprise ? De leur amour, elle ne gardait qu’un peu de ressentiment et beaucoup de méfiance envers tout ce qui s’accordait au masculin.
Elle poussa un profond soupir. A présent, elle était là depuis trois mois. Trois mois qui comptaient pour une éternité, sur fond de faim, de soif et de misère.
Ce jour-là, elle s’était levée à six heures du matin, il était dix-huit heures et elle s’accordait sa première pause de la journée. Elle se sentait fatiguée et découragée.
Soudain, elle eut le sentiment d’une présence. Elle se retourna brusquement. C’était encore lui ! Assis sur les marches du foyer des officiers, une cigarette se consumant entre ses doigts, il affichait un air indifférent mais elle était sûre que derrière les lunettes métallisées, ses yeux ne la quittaient pas. C’est ce regard, pesant sur elle, qui l’avait alertée. Elle s’en voulut du trouble étrange que l’attention de cet homme éveillait en elle. " Un militaire... Il ne manquerait plus que ça ! " se dit-elle, irritée. Elle fit volte-face et d’un pas résolu, regagna le dispensaire.
A l’entrée, des baraquements, elle croisa Sophie.
- Je te trouve une allure bien guerrière pour une fin de journée ! lui dit la jeune fille en riant.
- " Guerrière " voilà le terme qu’il ne fallait pas employer ! Mais tu as raison, je suis excédée. C’est encore ce type, ce militaire dont je t’ai parlé. Dès que je mets le nez dehors, j’ai l’impression qu’il me guette.
- Humm... Je vois de qui tu parles. Moi, s’il me poursuivait de ses assiduités, je me sentirais plutôt flattée. Je ne l’ai vu que de loin, mais avoue qu’il a fière allure.
- Oui... Si tu aimes le genre baroudeur. Mais moi, franchement, je n’ai pas besoin de le voir de près. Ses rangers et sa tenue kaki me sortent par les yeux ! Et puis, tu sais, les hommes... J’ai déjà donné. Alors, un soldat en plus, très peu pour moi !
- A mon avis, tu as tort de vouloir faire une croix sur l’amour car c’est encore ce qu’on peut imaginer de mieux pour tenir le coup. Tu n’es là que depuis trois mois, mais tu verras... Il faut bien trouver des dérivatifs, sinon la vie qu’on mène ici n’est guère supportable.
- Tu as peut-être raison. Je n’avais pas pensé que ce serait si dur. Par moments, je me sens sur le point de craquer. Mais ce n’est certainement pas dans les bras d’un militaire que je chercherai le réconfort. D’ailleurs, le fait que leurs installations soient si proches des nôtres m’exaspère au plus haut point. Nos vocations sont diamétralement opposées.
- Pas vraiment. N’oublie pas que ceux-là sont des soldats de la paix.
- Oh ! Toi... Je te trouve bien indulgente ! Avant de te connaître, j’ignorais que le prestige de l’uniforme avait encore cours !
Les deux jeunes femmes partirent d’un même éclat de rire. Hélène aimait bien Sophie. Il émanait d’elle un dynamisme et une joie de vivre qui avaient, sur chacun, un effet tonifiant. Au premier abord, elle pouvait paraître frivole mais il suffisait de la voir à l’ouvrage pour changer d’avis. Chaque jour, elle faisait preuve d’un courage et d’un dévouement sans faille et demeurait toujours d’humeur égale.
- Au fait... J’espère que tu n’oublies pas que ce soir c’est l’anniversaire du " Patron " ? demanda soudain Sophie.
- J’avais complètement oublié !
- Eh ! Bien, moi pas ! Pour une fois qu’on a l’opportunité de sortir nos trousses de maquillage, je ne vais pas rater l’occasion.
- Tu sais... Je ne sais pas si j’irai. Je ne trouve pas les circonstances bien propices à faire la fête.
- Alors là, ma vieille, tu n’as pas le droit de te défiler. Ce serait un affront envers Doc Langlois. Tu te rends compte qu’en six mois il n’a pas mis les pieds une seule fois en ville ! Il ne pense jamais à se distraire. Il est grand temps qu’on lui rende hommage. D’ailleurs il y aura toutes les personnalités de la ville. Dis-toi que c’est l’événement mondain de l’année !
- D’accord... D’accord... N’en rajoute pas. Je viendrai.
- Tu ne le regretteras pas. Tu verras, quand on sait les apprécier, les nuits africaines ont quelque chose de magique.
Sophie regarda sa montre.
- Encore deux ou trois pansements à changer et puis, je file prendre soin de ma petite personne. Tu ferais bien d’en faire autant, tu as les cheveux comme les branches d’un saule pleureur !
Les deux jeunes femmes se séparèrent sur un petit signe de la main et reprirent leurs occupations. L’équipe du Docteur Langlois était parfaitement rôdée et chacune savait exactement ce qu’elle avait à faire. Hélène avait encore quelques soins à prodiguer à un groupe de jeunes enfants qui souffraient surtout de malnutrition.
Quand elle eut visité tous ses petits patients, elle décida de suivre les conseils de Sophie et de s’octroyer le luxe d’un shampoing. Vu la chaleur qui régnait dans les baraques en planches, ses cheveux eurent tôt fait de sécher et malgré le mince filet d’eau tiédasse dispensé par la douche, elle constata avec plaisir que la métamorphose était significative.
Peu avant vingt heures, Sophie vint la chercher et tout le monde s’entassa dans les véhicules tous-terrains.
C’était Monsieur le Maire en personne qui avait lancé les invitations et tout organisé afin de célébrer le retour de la paix dans la contrée voisine. Il en profiterait pour remercier le Docteur Langlois de l’efficacité dont il avait fait preuve quand la guerre, toute proche, avait amené, dans un pays déjà si pauvre, toute une population d’immigrés fuyant les massacres.
Pour l’équipe médicale, participer à un pareil événement était tout à fait exceptionnel. Mais le Docteur Langlois, avec sa générosité habituelle, s’était arrangé pour que tous puissent bénéficier de l’invitation. Pour la circonstance, chacun s’était donc apprêté avec le plus grand soin, afin de lui faire honneur.
La piste qui menait du dispensaire à la ville était chaotique et ce n’est qu’une heure plus tard que, bras-dessus, bras-dessous, Hélène et Sophie firent leur entrée dans le hall climatisé du Grand Hôtel.
Les salons brillamment éclairés, les tapis moelleux, la vaisselle étincelante semblaient tout droit sortis d’un film des années 30. Après les trois mois d’austérité qu’elle venait de vivre, Hélène reconnut qu’une fois de plus Sophie avait eu raison : une soirée de luxe et de détente leur permettrait, à coup sûr, de recharger les accus.
- Quel palace ! J’ai peine à imaginer qu’ils nous ont réservé des chambres ici pour la nuit. Ça va nous changer de nos baraquements ! s’exclama Sophie, émerveillée.
Elles pénétrèrent dans la vaste salle, un peu éblouies, de voir tous ces gens évoluer avec aisance, comme si la guerre et la misère ne les avaient jamais effleurés. Des hommes en smoking, des jolies femmes couvertes de bijoux, des militaires en habit d’apparat. On riait, on papotait, un verre de cocktail à la main.
Sur une estrade, dans un coin de la pièce, un orchestre jouait en sourdine. Quand tous les invités furent là, le Maire fit un long discours en l’honneur du Docteur Langlois et de son équipe médicale. Il termina sous les applaudissements et invita ses convives à regagner leurs tables pour savourer le repas fin qu’on allait leur servir.
Le docteur Langlois et ses adjoints étaient installés avec les officiels. Hélène et Sophie, quant à elles, apprécièrent de se retrouver à l’autre bout de la salle en compagnie des plus bout-en-trains de leurs collègues. L’ambiance était à la détente. Hélène remarqua immédiatement la tendre complicité qui semblait naître entre Sophie et Éric, un jeune médecin ayant récemment rejoint l’association.
Après le repas, l’orchestre attaqua une valse. Éric et Sophie furent les premiers à s’élancer sur la piste. Un peu grisée par le vin qu’elle avait absorbé Hélène regardait son amie tournoyer dans les bras de son cavalier. Malgré elle, elle en ressentit un léger pincement au cœur. A cet instant, elle aurait tellement voulu se sentir jeune et légère elle aussi. Comme il aurait été doux de se laisser emporter par la danse et les bras d’un homme amoureux. " Voilà l’effet que la musique et l’alcool ont sur mes bonnes résolutions ! " se dit-elle.
Perdue dans ses pensées, elle ne vit pas l’homme qui s’approchait d’elle.
- M’accorderez-vous cette danse ?
Hélène sortit de sa rêverie et leva son regard vers l’inconnu qui, le sourire aux lèvres, attendait sa réponse. Il était grand, mince et portait avec élégance un blaser léger de bonne coupe et un pantalon clair. Ses yeux semblaient d’un vert intense dans son visage bronzé. " Hum ! Bien trop beau pour être honnête ! " pensa-t-elle. Elle s’apprêtait à décliner l’invitation quand l’idée l’effleura que cette silhouette lui était vaguement familière. Elle hésita un instant, craignant de se montrer désobligeante envers un familier du Docteur Langlois.
A ce moment-là, toujours tourbillonnant dans les bras d’Éric, Sophie passa tout près de sa table et lui adressa un clin d’œil prononcé. " Tu as bien raison Sophie... Une danse, ça n’engage à rien " se dit Hélène en se levant pour répondre à l’invitation.
Pendant tout le temps que dura la valse, ils ne parlèrent pas mais la jeune femme constata avec plaisir que ses pas s’accordaient à la perfection à ceux du bel inconnu.
Quand l’orchestre entama un slow, l’homme murmura simplement :
- Je m’appelle Louis.
Le timbre de sa voix était grave et mélodieux, les lumières s’étaient tamisées et Hélène ne le repoussa pas quand il resserra légèrement son étreinte.
Lorsque le slow prit fin, remplacé par une musique plus rythmée, ils s’éloignèrent à peine l’un de l’autre et, tout naturellement, leurs pas les conduisirent vers la même table.
Un maître d’hôtel vint leur servir le Champagne et Louis proposa de porter un toast. En heurtant doucement sa coupe contre la sienne, il murmura :
-À notre rencontre...
Ils avaient dansé en silence, mais à présent, ils étaient avides de se découvrir mutuellement. Tous deux Parisiens, il s’amusèrent d’avoir dû faire un si long voyage pour se rencontrer. Hélène s’étonnait de se sentir si bien auprès de cet homme qui, quelques instants auparavant, lui était parfaitement étranger. Bizarrement, ils ne parlèrent pas de leurs activités en Afrique. C’était leur vie d’avant et leurs goûts communs qui les réunissaient. Ils aimaient les mêmes lieux, les vieux quartiers de Paris, les églises oubliées, les musées où personne ne va jamais. Hélène pensa qu’elle n’avait jamais connu quelqu’un d’aussi romantique que Louis.
Occupés qu’ils étaient l’un de l’autre, ils ne s’aperçurent pas tout de suite que la soirée touchait à sa fin. La plupart des convives s’étaient déjà retirés, mais eux n’avaient aucune envie de se quitter.
Il gravirent côte à côte le large escalier de marbre qui menait aux étages de l’hôtel, puis s’arrêtèrent devant la porte d’Hélène.
Au moment de se séparer, Louis prit la main de la jeune femme et la garda un long moment dans la sienne. Il était agité de sentiments contradictoires, il quittait l’Afrique le lendemain et se sentait malhonnête de ne pas l’avoir dit à Hélène. Pourtant l’idée que leur histoire puisse s’arrêter là, sur ce palier impersonnel, lui paraissait tout à fait insupportable.
C’était exactement ce qu’Hélène ressentait au même instant et, quand il se pencha vers elle et l’embrassa, elle sut qu’elle attendait ce moment depuis leur première valse.
Toujours enlacés, ils poussèrent ensemble la porte de la chambre. Après les éclairages fastueux du grand salon, cette solitude à deux, enveloppée de lumières voilées était grisante et leur étreinte passionnée les tint longtemps éveillés.
Au petit matin, en contemplant Louis endormi à ses côtés, Hélène pensa qu’en effet, les nuits africaines avaient quelque chose de magique.
Ils partagèrent ensuite un petit déjeuner fait de brioches chaudes, de rires et de câlins. Louis savait qu’il lui restait à peine trois heures pour expliquer son départ à Hélène et lui promettre qu’il reviendrait. Il se trouvait un peu lâche mais ne pouvait s’empêcher de repousser son aveu jusqu’à l’ultime instant.
Comme, main dans la main, ils franchissaient le portail de l’hôtel, ils se heurtèrent presque à Simao.
- Eh bien, mon vieux ! Où tu étais ? Je t’ai cherché partout ! s’écria le jeune homme. Dépêche-toi, je suis sensé t’accompagner à l’aéroport dans moins d’une heure. Paris n’attend pas !
Hélène sentit qu’on lui assénait un énorme coup de poing dans l’estomac. Ce grand noir à la carrure athlétique... Bien sûr, elle le reconnaissait ! Elle les avait si souvent aperçus ensemble à travers les grillages du camp et comprenait enfin pourquoi la silhouette de Louis lui avait paru familière.
En un instant, l’étrange euphorie qui la portait depuis la veille se dissipa. Comment avait-elle pu être aussi aveugle ? Non seulement il était soldat mais, en plus, il quittait l’Afrique le jour même. Il s’était bien moqué d’elle ! Plantant là les deux hommes, elle fit volte-face et s’enfuit pour cacher sa honte et son chagrin.
Au dispensaire, la vie reprit son cours. Pour tous, l’anniversaire de Doc Langlois restait un heureux intermède qu’on évoquait avec plaisir et, dans ces moments-là, Hélène avait grand peine à contenir ses larmes. Au fil des jours, elle se mit à fuir toute compagnie. Le soir, aussitôt le repas achevé, elle s’enfermait dans sa chambre et plus personne n’osait la déranger.
Seule Sophie semblait ne pas vouloir en prendre son parti. C’est pourquoi Hélène ne s’étonna pas quand la jeune fille vint la relancer.
- Les nouveaux bénévoles sont là. Viens donc aider à leur installation, ça te changera les idées.
- Tu sais, je ne tiens pas vraiment à voir de nouvelles têtes !
- Ils viennent prêter main forte à la construction du nouvel hôpital. La moindre des choses, c’est de les accueillir dignement. Et puis, il n’y a peut-être pas que des nouvelles têtes, compléta-t-elle d’un air mystérieux.
- Tu as raison, je deviens égoïste, répondit Hélène sans relever la dernière remarque.
Il y avait foule dans le réfectoire, mais dès qu’elle y pénétra à la suite de son amie, Hélène sentit son cœur s’affoler. Louis avait troqué son treillis militaire contre un complet jeans qui lui donnait un air un peu gamin. Presque timidement, il s’avança vers elle et son regard vert semblait implorer un pardon qu’elle n’hésita pas un instant à lui accorder. Il lui ouvrit les bras et, pleurant de bonheur, elle s’abattit contre sa poitrine, sous les regards ébahis des ses collègues et des nouveaux venus.
Fin