UNE HISTOIRE D'AMOUR ENTRE VENT ET MARÉE
JULIE LA ROUSSE
Une nouvelle sentimentale de Jocelyne duparc
Malgré mes fréquents coups d’oeil vers la pendule, je n’étais pas anxieuse. Impatiente, certes, mais pas inquiète. Machinalement, j’allumai la radio et cherchai la fréquence d’une station locale que j’aimais bien et qui diffusait les succès des années 50. La voix chaude de René-Louis Lafforgue envahit le salon.
- Fais nous danser, Julie la Rousse. Toi dont les baisers font oublier...
Heureux présage ! Johann ne tarderait pas à rentrer. J’aurais voulu qu’il soit déjà près de moi pour valser, en riant avec lui, au rythme de la vieille rengaine.
Je jetai un regard à travers la vitre embuée. Il était à peine huit heures du soir mais dehors l’obscurité était profonde. Je m’assurai que le réverbère du jardin était bien allumé. C’était notre signe de ralliement, notre phare, comme l’appelait Johann. Nous l’avions équipé d’une forte ampoule qui se voyait depuis l’autre bout de l’île. Mon marin n’avait qu’à suivre sa clarté pour retrouver le chemin de notre chaumière, quel que soit le temps ou l’intensité de la nuit !
Contrairement aux autres femmes de l’île, je n’allais jamais attendre mon mari sur le port. Je n’étais pas une vraie femme de marin car Johann n’était pas un authentique matelot !
Un an auparavant, il avait fait l’acquisition de la "Julie", le vieux rafiot du père Quillec. Depuis longtemps, Jules Quillec hésitait à prendre sa retraite. A son âge, il ne supportait plus les soucis et tracasseries qui étaient trop souvent le lot des patrons pêcheurs. Pourtant, s’enchaîner à terre était pour lui un vrai crève-coeur. Quand Johann avait proposé de lui racheter son bateau tout en le conservant à son bord comme capitaine, Jules n’avait pas hésité. Johann était donc devenu apprenti matelot sur son propre bateau. La situation lui convenait parfaitement car il avait tout à apprendre dans ce domaine.
Il épousait ainsi la mer, pour plaire à mon père... Pour pouvoir m’épouser ! A mon grand étonnement, devant tant de bonne volonté, mon père s’était incliné et nous avait accordé sa bénédiction !
Nous étions mariés depuis près de six mois. Je supportais avec une relative sérénité les fréquentes absences de mon époux. Je n’étais pas d’un caractère angoissé et j’étais fille de marin ! De plus, j’imaginais que cette situation ne durerait pas éternellement. Mon mari avait tenu la promesse faite à mon père mais rien ne l’obligeait à consacrer sa vie entière à la mer ! Johann n’était pas un îlien. Il était né en Bavière, dans un petit village aux confins de la Forêt Noire.
En fredonnant, je m’affairais à la préparation du repas qui nous régalerait dès son retour. Mes pensées vagabondaient, je revivais les premiers instants de notre rencontre.
C’était l’été, nous étions toute une bande de garçons et filles du village, habitués du Café de la Marine. Attablées en terrasse et la moquerie aux lèvres, Marie-Jo et moi adorions assister à l’arrivée du bac qui déversait sur notre île sa cargaison de touristes.
Ce jour-là, Johann fut le premier à franchir la passerelle et sauta prestement sur le quai. Le vent ébouriffait ses cheveux blonds, décolorés par le soleil. Je donnai un coup de coude discret à mon amie.
- Regarde ce qui nous arrive... Kirk Douglas dans les Vikings !
- Ma pauvre Julie ! Dommage que tu ne sois pas libre. Il sera pour moi, répliqua-t-elle en riant !
Je lui répondis dans un chuchotement :
- Qui a dit que je n’étais pas libre ?
Marie-Jo eut une drôle de mimique et une oeillade significative vers Stéphane Lemeur qui s’agitait devant le flipper, entouré du reste de nos camarades.
S’il était l’élu de mon père, Stéphane n’était pas celui de mon coeur, mon amie le savait. Dès ses quinze ans, il s’était engagé comme mousse sur le chalutier de mon père. Papa qui déplorait ne pas avoir eu de fils, s’était attaché à ce garçon et le formait afin d’en faire son successeur. Je n’y aurais vu aucun mal si mon despotique père ne s’était mis en tête de me voir épouser son protégé !
Comme Marie-Jo prenait plaisir à me faire enrager au sujet de Stéphane, je m’apprêtais à lui adresser une réplique cinglante. Je n’en eus pas loisir, le Viking se dirigeait vers notre table !
- Bonjour. Cette chaise est-elle disponible ? Nous demanda-t-il. Puis-je m’asseoir ?
C’était justement la chaise occupée par Stéphane quelques instants plus tôt. Marie-Jo s’empressa de répondre :
- Certainement, elle est libre... Pas de problème !
Johann s’installa près de nous, se déchargeant de son sac de voyage et de tout un attirail que nous devinions être des accessoires d’artiste peintre.
Marie-Jo ouvrit de grands yeux émerveillés.
- Vous êtes peintre ! Vous êtes artiste !
Ce jour-là, mon amie fit tous les frais de la conversation. En souriant, Johann répondait à ses questions mais ses yeux bleu-faïence ne me quittaient pas.
- Je peins la mer, les rochers, les bateaux...
- Et vous gagnez votre vie avec ça ? Vous arrivez à vendre vos toiles ?
Je trouvais Marie-Jo bien indiscrète ! Heureusement, lui ne semblait pas s’en offusquer ! Quant à moi, j’étais déjà sous le charme. Sa décontraction, le léger accent qui donnait d’étranges inflexions à sa voix... Il ne ressemblait à personne que j’eus connu !
- Oui, ça marche bien. Récemment j’ai exposé à Paris et à Lyon. Nombre de gens sont fascinés par la mer... A commencer par moi !
Il parlait avec Marie-Jo mais son regard restait rivé au mien. Soudain, il se tut et s’adressant enfin à moi, il dit simplement, sur un ton légèrement interrogatif :
- Je pense que c’est ce qu’on appelle le coup de foudre, n’est-ce pas ?
Regardant en direction de Stéphane Lemeur qui s’excitait toujours sur son flipper, Marie-Jo baissa le pouce, du geste définitif de César condamnant un Chrétien !
De ce jour, Johann et moi ne nous étions plus quittés. Pourtant, avant que Marie-Jo puisse enfin revêtir sa jolie robe de demoiselle d’honneur, nous avions dû batailler ferme !
Mon père n’acceptait pas que je fréquente un garçon étranger à notre île. Stéphane Lemeur ne se privait pas pour lui monter la tête à ce sujet car, pire que tout autre étranger, Johann était Allemand. Lors de la dernière guerre, l’oncle de Stéphane, grand ami de ma famille, avait été arrêté et fusillé par la Gestapo. Un détail que Stéphane prenait un malin plaisir à rappeler à mon père !
Si maman parvenait à calmer son mari, celui-ci trouvait un nouveau prétexte. Johann était peintre, ce n’était pas un métier sérieux. Pourtant, dans les milieux artistiques, il était considéré comme un jeune peintre talentueux et gagnait confortablement sa vie. Peu importe ! Dans notre famille, tous les hommes étaient marins-pêcheurs ! La fille de Georges Le Guen ne pouvait épouser qu’un pêcheur !
C’est ainsi que Johann fit affaire avec Jules Quillec. La "Julie" portait déjà mon prénom, cela lui parut de bon augure ! Il fit simplement rajouter "la Rousse" derrière le premier mot. Le bateau s’appelait donc désormais "Julie la Rousse" en hommage à ma chevelure flamboyante.
Pour l’heure, malgré mon tempérament confiant, l’inquiétude commençait à me gagner. En préparant le repas, j’avais, par superstition, évité de regarder la pendule. Je levai les yeux vers le cadran. Il était plus de dix heures. Jamais Johann n’était rentré si tard. Il pratiquait une pêche côtière et s’absentait rarement plus de deux jours. L’équipement quelque peu périmé de « Julie la Rousse » ne lui permettait pas de jouer les pêcheurs d’Islande !
A présent, la radio m’agaçait. Je tournai l’interrupteur. La musique fit place à d’autres bruits qui m’avaient jusqu’alors échappé. Le vent soufflait dans les grands pins, une pomme tomba sur le toit du hangar. A mon insu, la tempête s’était levée.
Assise face au guéridon de la cuisine, j’essayais vainement de fixer mon attention sur un magazine. Je ne pouvais m’empêcher de penser que j’aurais dû l’attendre sur le quai avec les autres femmes. J’aurais vu des bateaux rentrer. Peut-être l’un d’eux avait-il croisé « Julie la Rousse » ?
N’y tenant plus, je décrochai le téléphone pour appeler mes parents. J’étais prête à entendre mon père traiter Johann de « marin d’eau douce », pourvu qu’il me donne des nouvelles rassurantes ! Il n’y avait pas de tonalité. Une fois de plus, la tempête avait mis la ligne hors service !
J’enfilai rapidement mon imperméable et me coiffai d’un vieux chapeau de toile cirée. Inutile de m’encombrer d’un parapluie, les bourrasques auraient tôt fait de le retourner !
Je luttais contre le vent, tentant de refermer le portillon du jardin quand une silhouette sombre apparut au bout de l’allée.
La pluie et les larmes ruisselaient sur le visage défait de Mélanie Quillec.
- Julie, ma pauvre petite ! Je reviens du port... Ils sont tous rentrés, sauf nos hommes !
- Oh ! Mélanie... Est-ce que quelqu’un les a vus ? Ont-ils lancé un appel radio ?
- Daniel Morvan les a aperçus ce matin. Depuis, plus rien ! Et tu sais à quel point l’appareillage du bateau est vétuste ! Jules n’aurait jamais dû s’entêter à naviguer dans ces conditions. Avec ton mari qui n’y connaît rien... Et le mien qui ne veut pas admettre qu’il n’a plus l’âge !
Nous soutenant mutuellement, nous étions descendues jusqu’au port. Dans de pareilles circonstances, les villageois avaient coutume de se réunir au Café de la Marine. Dès notre entrée dans l’estaminet, les conversations se turent. L’angoisse se lisait sur les visages.
Une grande solidarité régnait au sein de notre petite communauté. Chacun savait que le sort qui nous accablait, Mélanie et moi, pouvait à tout instant désigner une autre victime.
J’aperçus mon père et Stéphane Lemeur, installés au fond de la salle, auprès du vieux poêle. Dès qu’il me vit, Papa se leva vivement et vint m’embrasser. Comme lorsque j’étais petite, son étreinte affectueuse me procura un certain soulagement.
- Rien n’est perdu, Julie... Les recherches vont commencer et la tempête finira bien par s’apaiser...
- Oh ! Papa... J’ai tellement peur !
- Garde ton calme, ma fille... N’oublie pas que Jules est un vieux loup de mer. Plus d’une fois et dans des situations très difficiles, il est parvenu à se tirer d’affaire !
Mélanie Quillec quitta le groupe de vieux pêcheurs retraités, avec qui elle discutait et vint vers nous.
- Jérôme Cosquer connaît bien les habitudes de mon pauvre Jules. Il a souvent pris la mer avec lui par le passé. Il parle d’un endroit, avant les récifs de la pointe du Van, qui serait comme une protection naturelle. Il dit que Jules y aurait déjà abrité la « Julie », un jour de grande tempête, il y a quelques années...
- Mais alors, il faut y aller voir ! Dit mon père. L’hélicoptère de la gendarmerie ne sera pas là avant une heure au moins. On ne peut pas attendre éternellement l’aide de ceux du continent. C’est à nous de jouer ! Moi je suis prêt à essayer, si Jérôme me montre la route !
Mon père se tourna vers Stéphane Lemeur qui jusque là n’avait pas soufflé mot.
- Tu m’accompagnerais, mon garçon ?
Je vis le visage de Stéphane se fermer. Il rougit et haussa les épaules.
- Monsieur Le Guen, ça ne serait pas bien raisonnable ! Et puis, vous savez bien que le vieux Cosquer n’a plus toute sa tête... Il ne retrouvera jamais le chemin !
Mon père parut surpris par la réaction de Stéphane.
- Je vais voir. Il faut s’organiser, dit-il.
Il se dirigea vers le groupe d’hommes animés par Jérôme Cosquer et qui semblaient discuter ferme.
Je restai seule, aux côtés de Stéphane Lemeur. Il poussa vers moi une tasse de café fumant.
- Prends donc un café, Julie. Ça ne sert à rien de dramatiser.
Il sembla hésiter un instant et reprit.
- Il ne faudrait surtout pas mettre en péril la vie de plusieurs personnes pour deux illuminés qui n’ont pas su prendre les précautions élémentaires !
- Mais... Tu parles de mon mari, Stéphane ! De mon mari... Et de Jules Quillec qui est notre ami de toujours !
- Jules Quillec est un vieux fou ! Et ton mari... Ton mari aurait dû saisir la différence qu’il y a entre la mer, la vraie... et celle qu’il peint sur ses toiles !
- Johann aime vraiment la mer. Même Papa l’a compris ! Pourquoi ne peux-tu l’accepter ?
- Ton mari n’est pas un marin. Il n’est pas des nôtres, Julie... Et, sans sa folie, à l’heure qu’il est, le vieux Jules serait ici avec nous en train de boire son rhum !
Les larmes me montèrent aux yeux.
- C’est faux ! Tu sais bien que Jules n’a jamais voulu abandonner la mer. Toi même tu as navigué avec lui, il n’y a pas si longtemps que ça !
Je tentai de m’éloigner mais Stéphane posa la main sur mon bras pour me retenir.
- Laisse-moi. Tu es vraiment trop injuste. Lui dis-je.
- Nous aurions été si bien ensemble, toi et moi. Julie... C’est lui qui a tout gâché !
Comme je restais muette, Stéphane tourna subitement les talons et quitta le café en claquant brutalement la porte derrière lui.
Plusieurs personnes levèrent les yeux et le regardèrent s’éloigner.
Jérôme Cosquer hocha la tête d’un air entendu.
- Celui-là, les coins du Jules Quillec, il les connaît encore mieux que moi ! Dit-il.
- Ça, c’est bien vrai ! Renchérit Pierre-Yves Lucas.
Il s’adressait à mon père.
- Souviens-toi, Georges... Quand tu t’étais cassé la jambe, en automne d’il y a deux ans. C’est avec Jules que le petit avait embarqué !
- C’est pourtant vrai ! J’avais complètement oublié ça, lui répondit mon père. Le gamin a navigué avec lui pendant presque trois mois !
- Oui... Et même qu’une fois, ils avaient essuyé un sacré orage, à ce qu’il paraît ! Durant toute une nuit, on les avait portés disparus. Tout le monde les croyait définitivement perdus et au matin, on voit accoster la "Julie", elle n’avait pas subi le moindre dommage... Et quelle pêche ils ramenaient !
La conversation s’était animée. Chacun ajoutait un détail à l’aventure de Jules Quillec.
- Toi, tu étais à l’hôpital, avec ta jambe dans le plâtre ! Mais moi je m’en souviens, reprit Pierre-Yves Lucas. Le Jules, il prenait des airs mystérieux ! Il n’a jamais voulu nous dire quel havre il avait découvert pour protéger son bateau... La côte, il la connaît à fond mais il préfère garder ses bons coins pour lui. Ça se comprend !
- Ça signifie que Stéphane pourrait orienter les secours...
Pierre-Yves me lança un regard gêné avant de répondre à mon père.
- Il peut... S’il le veut ! Mais il n’a pas trop d’amitié pour ton gendre...
Mon père avait sur le visage son expression des mauvais jours.
- Il s’agit bien d’amitié ! Bougonna-t-il. Ça serait nouveau, qu’on laisse des gars de chez nous en difficulté, sans rien tenter pour leur venir en aide !
Il prit son ciré au portemanteau, tout de suite imité par Pierre-Yves Lucas et le vieux Jérôme Cosquer.
- Va tenir compagnie à ta mère, me dit-il. Et tu peux me croire, ma petite fille, même si je devais pour cela fouiller le triangle des Bermudes, je te le ramènerais, ton marin d’eau douce !
Émue jusqu’aux larmes, je le regardai s’éloigner, de cette démarche particulière aux marins qui, même sur la terre ferme, semblent toujours lutter contre la houle.
Passant un bras sous le mien, Mélanie Quillec m’entraîna hors du café.
- J’aurais dû deviner que le jeune Lemeur était en mesure de nous aider, dit-elle. La jalousie est souvent mauvaise conseillère mais Stéphane est malgré tout un brave garçon. Ton père aura tôt fait de lui rendre son bon sens !
- Oui, je pense que Papa saura le convaincre, il a toujours eu beaucoup d’influence sur Stéphane.
Je me sentais rassurée de voir mon père prendre les choses en mains. Si Stéphane acceptait de parler, l’hélicoptère des secours saurait vers où orienter ses recherches, et le travail s’en trouverait facilité.
Bras-dessus, bras-dessous, nous gagnâmes la maison de mes parents. Ma mère nous guettait, le nez collé à la fenêtre de sa cuisine. Comme si elle se doutait de notre arrivée imminente, elle avait préparé du café frais qu’elle nous servit dans des grands bols. Sa présence attentive et le décor chaleureux de la maison de mon enfance, m’apportèrent un peu de réconfort.
Enfin, nous entendîmes le bruit caractéristique d’un hélicoptère qui se posait sur la place du marché. Le vent s’était quelque peu calmé, les recherches pouvaient commencer.
Chaque heure qui s’écoulait m’effrayait davantage. Ma mère essaya à plusieurs reprises de joindre le café de la Marine mais le téléphone ne fonctionnait toujours pas.
Nous restions là, trois femmes silencieuses assises autour de la table de la cuisine, partagées entre l’espoir et la crainte. Ce fut la nuit la plus longue de mon existence.
Vers quatre heures du matin, l’hélicoptère se fit entendre de nouveau. Je retenais mon souffle mais n’osais pas retourner au port, de peur d’y apprendre une mauvaise nouvelle.
Soudain, des pas firent crisser les gravillons de l’allée. Je me ruai sur la porte d’entrée, elle s’ouvrit à la volée poussée par le vent salé qui s’engouffra dans le corridor.
Mon coeur faillit exploser de bonheur ! Mon père et Johann soutenaient Jules Quillec. Une lampe tempête à la main et l’air un peu penaud, Stéphane marchait à leur côté. Pierre-Yves Lucas et Jérôme Cosquer fermaient le cortège.
Mélanie qui jusque là s’était montrée si stoïque, se précipita sur son mari en sanglotant. Et moi, je crois bien que je me serais évanouie si les bras de Johann ne m’avaient pas étreinte passionnément.
Ma mère sortit ses bouteilles de liqueur et proposa un remontant que chacun accepta avec joie. Je ne pus m’empêcher de rire en la voyant installer tout son monde sur les canapés du salon. C’était bien la première fois que je voyais cette ménagère quasi-maniaque faire fi des dégâts occasionnés par les vêtements ruisselants d’eau salée !
Les hommes nous expliquèrent que, grâce aux indications de Stéphane, l’hélicoptère avait rapidement repéré les restes flottants de ce qui avait été « Julie la Rousse ». Le vieux rafiot avait eu moins de chance que les fois précédentes et s’était écrasé sur les récifs.
Jules Quillec nous raconta comment, des heures durant, Johann l’avait aidé à se maintenir accroché aux débris de l’épave. Il l’avait soutenu, tant moralement que physiquement, quand, à bout de force, le vieil homme se laissait peu à peu aller au découragement. J’étais fière de mon mari et mon père semblait enfin l’être aussi.
Ensuite, tendrement enlacés, Johann et moi avons rejoint notre petite maison. Le ciel était encore sombre mais nous pouvions suivre la lueur rassurante du lampadaire de notre jardin.
Johann dit qu’il ne regrettera pas son bateau tant que la vraie « Julie la Rousse » sera à ses côtés. Parfois, quand la mer lui manque trop, il embarque sur le chalutier de mon père. Le reste du temps, il s’adonne entièrement à son art. Moi, je trouve que depuis cette nuit tragique, les toiles qu’il peint sont plus belles et plus ardentes que jamais.
Fin