QUAND HISTOIRE ET AMOUR SE CONFONDENT
LE DERNIER CADEAU
Une nouvelle sentimentale de Jocelyne duparc
Paul n’avait pas pu m’accompagner. Son travail le retenait à Paris. Son travail ou peut-être sa trop jolie secrétaire, ne pouvais-je m’empêcher de penser. De toute façon, je le connaissais assez pour savoir qu’il n’aurait pas supporté l’ambiance pesante qui régnait à la ferme.
Après l’enterrement, quand mon frère Didier m’avait demandé de trier les affaires de Maman, j’avais accepté sans hésiter. Il avait raison, c’était à moi de le faire. Maman et moi avions toujours été si proches l’une de l’autre, alors que mon père n’avait jamais cherché à dissimuler la nette préférence qu’il éprouvait pour Didier.
Je décidai donc de rester deux jours de plus à la ferme. Je pouvais me le permettre, n’ayant plus aucun impératif de travail, puisque, à cinquante-sept ans, j’étais en préretraite à la suite d’un licenciement économique.
J’avais appelé Paul pour le prévenir que mon absence se prolongerait. Ça n’avait pas paru le déranger. J’avais même cru déceler un certain soulagement dans le ton de sa voix. Toutefois, je ne lui en avais pas fait la remarque, je l’imaginais trop bien me servant sa répartie préférée « Ma pauvre Chantal ! Tu deviens vraiment parano ! ».
Les larmes aux yeux, j’avais plié avec soin les vêtements de ma mère. Ça me fendait le cœur de penser qu’elle ne les porterait plus jamais. Je les avais remisés dans des cartons. Maryse, ma belle-sœur, connaissait une œuvre caritative, elle se chargerait elle-même de leur apporter le tout.
Ensuite, Didier et Maryse décidèrent de vider également le grenier. C’était le domaine de Maman, elle s’y était souvent réfugiée quand elle était triste ou fatiguée. Mon frère et ma belle-sœur ne voulaient rien garder de tout le fatras qu’elle y avait accumulé au fil des ans. Pour eux « tout devait disparaître » on se serait cru en plein soldes de fin de saison. Maman laissait tant de souvenirs dans les vieilles malles oubliées sous les combles. Il y avait des photos de gens que je n’avais jamais connus, des patrons de robes démodées, des romans à l’eau de rose aux jaquettes fanées et dont les pages gardaient encore la cicatrice du coupe-papier.
Je ne pouvais me résoudre à les regarder jeter tout cela dans le vieux tonneau rouillé où l’on brûlait les feuilles mortes. Mue par une impulsion irrésistible, à leur insu, je récupérai ce que je pouvais et entassai le tout dans le coffre de ma voiture. Paul allait certainement me reprocher mon esprit de conservation, mais une critique de plus n’avait pas tellement d’importance… Au point où nous en étions !
Le soir, pendant le dîner, le problème de la succession fut abordé. Je pensais que c’était un peu prématuré mais mon père insista. La ferme appartenait à Maman, elle l’avait héritée de ses parents. Depuis que mon père avait pris sa retraite, c’était Didier et Maryse qui dirigeaient l’exploitation. Papa parla de leur courage, de leur mérite, du labeur qui était dur et rapportait peu...
J’aurais voulu remettre cette conversation à plus tard mais d’après eux, il fallait régler tout cela au plus vite. On me rappela que ma vie était à Paris, que mon mari avait une excellente situation et que je bénéficiais moi-même d’une très bonne retraite. Didier et Maryse avaient deux fils qui ensuite pourraient prendre la relève alors que moi je n’avais jamais eu d’enfant. Pour conclure, on me mit sous le nez un contrat par lequel je cédais la maison et les terres à mon frère. Il me dédommagerait par petites échéances réparties sur plusieurs années. Je me sentais fatiguée, la tête vide, je me rangeai à leurs arguments et je signai.
Maryse sortit une bouteille de vieil alcool du buffet et tout le monde trinqua, comme si on venait de conclure une bonne affaire. Moi, je pensais à Maman et je ne crois pas me tromper en disant qu’à cet instant, j’étais la seule à me souvenir encore d’elle.
Le lendemain, à l’heure du départ, les adieux furent de courte durée. Ils avaient tous beaucoup de travail... Les bêtes à nourrir, un problème avec le tracteur… C’est tout juste si on ne me poussa pas jusqu’à ma voiture.
En arrivant au « stop », juste avant d’aborder la route départementale, je jetai un dernier coup d’œil dans mon rétroviseur. Autrefois, quand je marquais l’arrêt à cet endroit, le rétro me renvoyait inévitablement l’image de Maman, toute droite en haut de l’allée, me faisant signe pour me dire au revoir. Mais, c’était avant sa maladie et, cette fois, le rétroviseur ne refléta rien... J’en ressentis un grand désarroi. Désormais, en haut du chemin, il n’y aurait plus personne qui agiterait la main pour me souhaiter un bon voyage. Plus jamais...
Le trajet du retour se passa sans problème. La circulation était fluide et bientôt, ma Bretagne et ses toits d’ardoises, grises comme un ciel de novembre, furent loin derrière moi.
Il était tout juste treize heures quand je poussai la porte de notre appartement. Bizarrement, les lieux me semblèrent moins accueillants que d’habitude. Pourtant, tout était net et bien rangé, mais le salon d’ordinaire si douillet me parut soudain froid et désert. Pour chasser mon trouble, je décidai d’aller au parking chercher les souvenirs que j’avais récupérés dans le grenier de mes parents. Il me fallut faire plusieurs aller et retour pour tout remonter.
Quand j’eus terminé, je me permis de souffler un peu en fumant une cigarette. La première bouffée aspirée, je cherchai des yeux un cendrier. C’est ainsi que je pris conscience que l’impression de vide qui m’avait frappée en arrivant n’était pas une illusion. Le gros cendrier aux armoiries d’un pub anglais, que Paul avait ramené d’un voyage d’affaires à Londres, n’était pas sur la table basse. Sur l’étagère murale, il n’y avait pas non plus la coupe qu’il avait gagnée lors d’un tournoi de tennis. Le sabre samouraï au fourreau d’ivoire ouvragé qu’il affectionnait tant n’était plus à sa place au-dessus de la cheminée. Je sentis mon cœur bondir dans ma poitrine.
Comme une folle, je courais d’une pièce à l’autre, ouvrant les meubles, les placards, les penderies... Je terminai par l’armoire de notre chambre. Paul avait emporté toutes ses affaires... Paul était parti ! Je ne voulais pas y croire. Mon mari ne pouvait pas m’avoir quittée... Comme ça ? Sans prévenir ? J’y crus pourtant quand mes yeux se posèrent sur la lettre qui trônait au milieu du lit bien tiré.
Il écrivait qu’il était désolé, qu’il ne voulait pas me faire souffrir. Mais il était tombé amoureux, c’était plus fort que lui... Son amie était enceinte... Comment refuser cet enfant qu’il espérait depuis si longtemps ? Ce bébé que je n’avais pas pu lui donner. Un tel cadeau du destin ne se repousse pas. Paul pensait qu’il était préférable que nous ne nous revoyions pas. Inutile de nous torturer, n’est-ce pas ? Tout se traiterait par l’intermédiaire de son avocat qui ne manquerait pas de me contacter.
Voilà, tout était dit ! En quelques lignes, il balayait trente années de vie commune et moi je restais là, hébétée, abrutie de douleur. Quelque peu ébahie aussi par la désinvolture avec laquelle il réglait notre séparation ! Lorsque j’eus plus ou moins ravalé mes larmes, je m’emparai du téléphone et appelai son bureau. Peine perdue ! Une voix inconnue me répondit que Monsieur Rieux était en vacances. Je demandai sa secrétaire. Elle aussi était en congés... Si j’avais eu quelques doutes quant à leur relation, il n’en subsistait plus le moindre.
Mon mari n’avait jamais apprécié les scènes de ménage et, une fois de plus, il avait pris ses précautions pour éviter tout affrontement, il était parti en congés au moment opportun. En plus du chagrin et de la jalousie qui me taraudaient, j’en ressentis une terrible frustration.
C’était insupportable, j’étais certainement en train de faire un affreux cauchemar. Ces choses-là n’arrivent pas dans la vie ! Personne ne peut, en quelques jours, perdre sa mère et son mari ! Il me fallut pourtant me rendre à l’évidence, ces choses-là arrivent. Ou, tout du moins, elles m’étaient arrivées, à moi !
Je passai les heures suivantes, perdue dans une sorte de brouillard obscur. Arpentant le salon de long en large, j’avais l’impression d’être ivre. J’allumai la télévision mais le programme me parut insipide et ne parvint pas à capter mon attention. Je l’éteignis au bout de quelques minutes.
Pour me changer les idées je m’obligeai à me préparer une tasse de thé. Puis, je triai du linge et lançai une lessive. Sans l’aide de ces gestes simples et automatiques, je crois bien que j’aurais perdu la raison. A cinq heures, je sortis acheter le pain, comme je le faisais les jours ordinaires. J’en profitai pour prendre le courrier dans ma boîte à lettres. L’avis de lettre recommandée ne me surprit même pas, c’était certainement l’avocat de Paul qui m’écrivait.
Le bureau de poste était encore ouvert, je m’y rendit immédiatement. Je ne m’étais pas trompée, c’était bien l’avocat. Bizarrement, au lieu de m’abattre complètement, la lecture de ce courrier me donna une sorte de coup de fouet.
Sans trop y réfléchir, je m’étais toujours imaginée que Paul et moi prendrions notre retraite à Plomelin, dans ma ferme natale. Il semblait à présent que le sort en ait décidé autrement. La ferme ne faisait plus partie de mon avenir, Paul non plus. Pendant toutes ces années, c’est lui qui avait régenté ma vie. J’avais pris l’habitude de lui confier toutes les décisions. Maman m’avait souvent conseillé de prendre mon destin en main, de ne pas m’en remettre à mon mari pour le moindre de mes faits ou gestes. Dans ces moments-là, elle avait toujours une note de nostalgie dans la voix, comme si elle s’exprimait autant pour elle que pour moi. Maman... Comme elle me manquait !
Je tentai de retrouver un peu de sa chaleur en triant les documents rapportés de la ferme, que j’avais entreposés dans un coin du salon. J’écartai les livres, et feuilletai les albums de photos. Il y avait aussi des courriers jaunis dont l’encre était à moitié effacée et des extraits de journaux régionaux au papier craquelé. Je m’assis à même la moquette et me mis à lire ces coupures de presse qui dataient de la fin de la dernière guerre. Certains articles décrivaient la débâcle de l’armée allemande, d’autres relataient les déboires de jeunes femmes qui ayant fréquenté des soldats ennemis, avaient été arrêtées à la libération. Ma mère avait à peine dix-huit ans en ce temps-là, peut-être ces problèmes concernaient-ils l’une de ses amies. Je trouvais cela étrange car elle ne m’en avait jamais parlé. D’ailleurs, en y songeant, je me dis que mes parents ne parlaient jamais de cette époque. Lorsque nous étions gamins, mon frère et moi, si nous abordions la question, ils l’éludaient rapidement comme si le sujet avait été tabou.
J’eus soudain envie d’en savoir plus. Sous la pile de journaux, il y avait aussi tous ces courriers libellés au nom de jeune fille de ma mère, j’osais à peine y toucher. Pourtant, quand mes yeux aperçurent un timbre étranger, je ne pus m’empêcher, les doigts tremblants, de sortir la lettre de son enveloppe. Mon père n’avait jamais été prisonnier en Allemagne, il ne pouvait pas l’avoir écrite. Avait-elle eu un fiancé qui serait mort à la guerre avant qu’elle n’ait connu mon père ?
En lisant les premiers mots, j’eus un peu honte de moi, j’avais l’impression de violer un secret mais poursuivit néanmoins ma lecture. « Jeanne, mon tendre amour » disait cet inconnu que ma mère avait suffisamment aimé pour en avoir conservé les écrits toutes ces années. Au fil des lignes, je compris rapidement que l’amoureux en question n’était pas un paysan de chez nous, car malgré quelques erreurs de syntaxe, son style était trop littéraire. Je tournais rapidement les feuillets, à la recherche d’une signature. Un simple prénom « Ludwig » fut assez éloquent. Ainsi, Maman avait fréquenté un Allemand ! Un Allemand qui lui clamait son amour et son désespoir d’être séparé d’elle. Je n’avais jamais imaginé que ma mère ait pu vivre une histoire d’amour aussi romantique que tragique. Elle m’avait toujours donné une telle impression de calme et d’équilibre... De résignation, pensai-je tout à coup !
Captivée par cette nouvelle image d’elle que je découvrais peu à peu, j’en oubliais mes propres soucis. Mais je n’étais pas au bout de mes surprises. La finalité de leur triste histoire, c’est un feuillet raturé qui me l’apprit. C’était un brouillon de lettre de rupture. Ça et là, des taches étoilées en avaient dilué l’encre, les larmes que ma mère avait versées, tant la décision qu’elle devait prendre lui fendait le cœur. Elle disait...
« Bientôt mon état se remarquera et j’ai si peur. Tu ne peux pas t’imaginer le sort affreux réservé à celles qui ont fauté avec un Allemand. Dans le journal, il y avait la photo de Maryvonne, c’était horrible, ils l’ont frappée, ils l’ont tondue. Pardonne-moi, mais je n’ai plus la force de lutter. Je vais me plier à la volonté de mes parents. Marcel Cariou, l’ouvrier agricole de mon père, est un homme simple et honnête. Il accepte de m’épouser, en toute connaissance de cause. Je pense qu’il fera un bon père pour notre enfant. Mon amour, tu dois m’oublier... »
Je reposai la lettre et demeurai perplexe. Marcel Cariou… Mon père ! Comment avais-je pu ignorer si longtemps tous ces détails qui me revenaient à présent en mémoire ? Les conciliabules vite interrompus lorsque j’entrais inopinément dans une pièce... Le visage crispé de Maman quand son mari disait en riant un peu lourdement qu’ils avaient mis « la charrue avant les bœufs » en parlant de ma naissance, cinq mois après leur mariage, six mois après la fin des hostilités... L’agacement de mon père quand, petite, je lui manifestais trop vivement mon affection...
Je m’étais toujours imaginée que Papa, qui était un homme rude, préférait Didier parce que c’était un garçon. Je n’irais pas jusqu’à dire que j’avais bien vécu cette situation mais je l’avais acceptée, pensant que la vie était ainsi faite. Je découvrais tout à coup une raison bien différente à cette inclinaison !
En y repensant, je me rendais compte que je m’étais toujours effacée au profit des hommes de mon entourage, au bureau comme dans ma vie privée ! J’avais enduré pendant des années la tyrannie d’un directeur qui m’avait remerciée sans regret à la première difficulté économique. J’avais supporté comme une fatalité la froideur de mon mari et le ton protecteur, un tantinet supérieur, qu’il prenait volontiers en s’adressant à moi.
Soudain, c’était mon existence entière qui basculait, en une seule journée. J’avais le sentiment de découvrir enfin qui j’étais réellement. J’étais abasourdie, mais je continuais à fouiller fébrilement parmi les papiers épars autour de moi, jusqu’à y découvrir un vieux cahier d’écolier, le journal de ma mère.
J’appris ainsi comment, alors qu’elle occupait un emploi de bureau à la préfecture de Quimper, elle y avait fait la connaissance d’un jeune soldat allemand. Ludwig Breyer était berlinois, il avait vingt ans quand la guerre avait interrompu ses études de philosophie. Malgré ses sentiments patriotiques, ma mère n’avait pas longtemps résisté à son charme. Toutefois, connaissant les convictions de ses parents, elle leur avait caché son amour... Jusqu’au repli de l’armée allemande, jusqu’à la fin de la guerre, jusqu’à ce qu’elle ait la certitude qu’elle attendait un bébé... Et ce bébé, c’était moi ! Ne pouvais-je m’empêcher de me répéter !
Au fil des pages de son journal, je m’aperçus que Maman en avait repris épisodiquement l’écriture. Elle y notait ses réflexions, ses joies et ses peines qu’elle datait scrupuleusement.
Quand la paix était revenue, Ludwig avait repris la plume pour la supplier de lui accorder un rendez-vous. Elle lui avait écrit une dernière fois pour lui confirmer son mariage, ma naissance. Elle refusait de trahir la confiance de son mari, elle lui demandait de se résigner et de ne pas chercher à la revoir. Ludwig s’était incliné et n’avait plus insisté.
Pourtant, il ne l’avait pas oubliée car, de nombreuses années plus tard, après la chute du mur de Berlin, il lui avait écrit à nouveau. Il lui avouait qu’il ne s’était jamais marié car il vivait dans son souvenir. Il aurait voulu la revoir. Les échanges entre leurs deux pays étant redevenus très simples, il n’attendait qu’un mot d’elle pour faire le voyage. Malgré l’émotion ressentie à la lecture de sa lettre, elle s’était interdit de lui répondre. Rien n’avait changé dans sa vie, elle était toujours mariée. Et tant d’années s’étaient écoulées depuis leur impossible amour.
Les derniers mots que ma mère avait notés dans son journal étaient beaucoup plus récents. Ils étaient datés de quinze jours à peine avant son décès. Elle disait simplement « Aurais-je dû révéler à Chantal le secret de sa naissance ? Je crains d’avoir trop tardé... ».
Sur la page suivante, elle avait noté « Je viens d’écrire à Ludwig, je m’en remets à lui. J’ai donné la lettre au facteur mais peut-être a-t-il changé d’adresse. Il y a si longtemps... Ludwig, mon seul amour, es-tu encore en vie aujourd’hui ? ». Elle avait inscrit ses coordonnées en bas de la page.
Je ne pouvais détacher mon regard de cette adresse « Beethoven strasse ». Quelque part dans une rue de Berlin vivait ce père inconnu. Mais, comme s’était interrogé Maman, vivait-il encore ?
Durant les jours qui suivirent, je ressentis âprement l’abandon de mon mari. L’appartement me semblait à présent bien trop grand. Je me dis que je n’aurai aucun regret à le vendre, une fois les formalités du divorce accomplies. Dans cette éventualité, j’entrepris d’en faire le ménage à fond. J’enfilai un vieux jean et relevai mes cheveux en un chignon bancal. Il s’en fallut de peu pour que le ronflement de l’aspirateur ne couvrit le tintement du carillon de la porte d’entrée.
J’étais étonnée car je n’attendais pas de visite. En effet, mes seules relations étant les amis de Paul, depuis quelques jours, on ne se bousculait pas vraiment à ma porte !
Celui qui se tenait devant moi était grand et mince, d’une élégance discrète. Il semblait osciller entre cinquante et soixante ans. Il était plutôt bel homme, avec un visage sympathique, mais c’était un parfait inconnu !
Un peu sur la défensive, je pensais immédiatement à l’avocat de Paul.
- Madame Rieux, me permettez-vous de vous entretenir un instant ? demanda-t-il.
Intriguée, je répondis par l’affirmative. Il s’exprimait courtoisement, avec un léger accent.
- Je m’appelle Ernst Tobler, reprit-il. Je viens de la part de Ludwig Breyer qui est un ami de mon père. Mais peut-être ce nom n’évoque-t-il rien pour vous. Votre mère lui a écrit peu de temps avant son décès...
Le cœur battant, je l’invitai à entrer.
Il m’expliqua que Ludwig avait reçu cette lettre avec beaucoup de retard car il avait quitté Berlin pour la Bavière. Maman lui parlait de l’état avancé de sa maladie, elle craignait qu’après sa disparition je me sente bien seule étant donné le peu d’affection que Papa et Didier me portaient. Elle lui donnait mes coordonnées en le laissant libre de sa décision. Comme il était trop âgé pour voyager, il m’avait délégué le fils de son meilleur ami qui avait pris le premier avion pour Paris...
Cela s’est passé il y a un peu plus d’un an. Depuis, Paul et moi avons vendu l’appartement, notre divorce est prononcé. J’ai fait la connaissance de Ludwig, je l’ai revu plusieurs fois. C’est un homme charmant et chaleureux, je comprends que Maman l’ait tant aimé.
A présent, je suis en train de boucler mes bagages car je pars pour Munich. Ernst doit passer me prendre d’un moment à l’autre… Ernst, que je vais épouser dans quelques jours... Ernst... Le dernier cadeau que m’a fait Maman...
Fin